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Investissements français dans l’agriculture en RDC : instruments, circuits financiers et effets attendus

Investissements français dans l’agriculture en RDC : instruments, circuits financiers et effets attendus

Pourquoi cet article compte, concrètement

Si vous êtes productrice de manioc au Kwilu ou cacaoculteur dans la Tshopo, l’aide qui arrive — ou pas — décide de vos semences, de vos rendements, et du crédit que votre IMF vous accordera demain. La France intervient surtout via des mécanismes de développement — pas via de grandes plantations — avec une logique d’alliances locales et de finance mixte. Voici, preuves à l’appui, où vont les fonds, qui en bénéficie et comment juger leur portée.

1) Le cadre : un secteur agricole vital et sous pression

  • En RDC, l’agriculture reste le premier pourvoyeur d’emplois : les estimations de la Banque mondiale situent la part de l’emploi agricole au-delà de la moitié de la main-d’œuvre (≈56 % en 2022).
  • Des analyses Banque mondiale et FAO soulignent la centralité du secteur pour la sécurité alimentaire et les revenus ruraux.
  • Les défis structurels combinent dégradation des terres, performances techniques faibles et pression sur les paysages forestiers ; les documents FONAREDD décrivent explicitement la nécessité d’investissements agricoles « massifs » tout en maintenant les paysages forestiers.

2) Comment la France intervient aujourd’hui

2.1. L’AFD, bras opérationnel de l’APD française en RDC

L’Agence française de développement (AFD) est l’opérateur public qui met en œuvre la politique de solidarité internationale de la France, notamment en RDC. Entre 2012 et 2022, la page pays AFD indique un cumul d’engagements de 360 M€ tous secteurs confondus.

2.2. Le pivot agricole : le programme « Savanes et forêts dégradées » (PSFD)

Le Programme d’appui à la mise en valeur durable des savanes et des forêts dégradées (PSFD) vise à diffuser des itinéraires agroécologiques et agroforestiers auprès d’exploitations et de PME agricoles, tout en évitant l’avancée du front de déforestation. Les provinces ciblées sont Kwilu et Tshopo.

  • Budget & durée. Le document de projet (ProDoc) validé dans le cadre CAFI/FONAREDD fixe un budget total 14 999 378 USD pour 5 ans.
  • Bénéficiaires & filières. Les « alliances productives » rassemblent exploitations de type familial (5–50 ha), petites PME et opérateurs de filière ; les chaînes visées incluent café, cacao, manioc, maïs et charbon de bois.
  • Instruments financiers. Le PSFD combine subventions adossées à du crédit via IMF/banques ; les plafonds de subvention atteignent 90 000 USD (micro-structure) ou 180 000 USD (petite entreprise), avec un crédit associé de 160 000 à 320 000 USD. Les projets durent jusqu’à 24 mois.
  • Logique d’exécution. Les appels à projets structurent la sélection des alliances et renforcent le conseil technico-économique interne.

2.3. La place de la France dans l’architecture REDD+ (FONAREDD/CAFI)

Le FONAREDD est le bras financier de la Stratégie nationale REDD+ ; il est alimenté par des bailleurs d’un fonds multi-donateurs CAFI, dont la France fait partie.
Au-delà du PSFD, des conventions montrent que l’AFD peut cofinancer des programmes forêt/usage des terres sur fonds délégués FONAREDD et subvention AFD (ex. PGDF : 12 M USD FONAREDD + 4,4 M USD AFD).

3) Ce que la France finance réellement dans l’agri-RDC

3.1. Priorités techniques

  • Diffusion d’itinéraires agroécologiques et agroforestiers adaptés aux terroirs.
  • Renforcement des dispositifs de conseil agricole et des capacités des IMF/banques pour prêter à des exploitations familiales/PME.
  • Objectif d’absence d’avancée du front de déforestation dans les zones d’action.

3.2. Ciblage des filières et des tailles d’exploitation

  • Filières commerciales existantes (café, cacao) et vivrières (manioc, maïs) pour faire monter en gamme des chaînes déjà animées par les producteurs locaux.
  • Exploitations familiales 5–50 ha et petites PME, plus « petits fermiers » des territoires ciblés.

3.3. Place du privé français

À ce stade, l’essentiel du levier français identifié en agriculture RDC relève de l’aide au développement, non d’investissements agro-industriels français de grande ampleur. On trouve plutôt des appuis ciblés au secteur privé local via PROPARCO (ex. appui à Qualagric asbl pour la filière manioc). À vérifier : aucune annonce publique récente de grande plantation privée française n’a été repérée en RDC.

4) Combien ? Mise en perspective des flux

4.1. Enveloppe PSFD (référence française en agri)

  • 14 999 378 USD sur 5 ans (cadre CAFI/FONAREDD), appels à projets, subventions adossées à crédit (jusqu’à 90 000/180 000 USD de subvention, 160 000/320 000 USD de crédit), projets ≤ 24 mois.

4.2. Poids relatif face aux autres bailleurs (RDC)

  • Banque mondiale – Agriculture. Financement additionnel de 75 M USD pour le Projet de réhabilitation et de relance agricole (2017). Portefeuille RDC 7,023 Mds USD au 31 mars 2025 (tous secteurs).
  • BAD – Agriculture. 13,5 M USD pour développer la production céréalière (Equateur et Kasaï-Oriental) ; 117,9 M USD approuvés en 2024 pour appuyer la transformation agricole (gouvernance, compétences, entrepreneuriat).
  • Belgique – Enabel. Programme bilatéral 2023-2027 doté de 250 M€ (≈50 M€/an) couvrant formation-emploi, services sociaux, agriculture/sécurité alimentaire et gouvernance.
  • BIO (Belgique) – Feronia/PHC. Participation au prêt syndiqué de 49 M USD (2015) avec DEG, FMO, EAIF ; part BIO 11 M USD (projet PHC, huile de palme).

Lecture rapide. En volume, les enveloppes de la Banque mondiale et de la BAD dépassent l’ampleur du PSFD. La France se positionne en ingénierie d’écosystème (conseil + subvention + crédit IMF/banques) avec une mise à l’échelle progressive via la plateforme FONAREDD/CAFI. (Fonaredd | Fonds National REDD, mptf.undp.org)

4.3. Repère africain : ordres de grandeur Chine–Afrique

Pour situer l’échelle régionale, les annonces FOCAC montrent des enveloppes panafricaines : 60 Mds USD (2018), ≈40 Mds USD (2021) et ≈51 Mds USD (2024), sans allocation spécifique RDC. Cela sert d’étalon macro, pas d’engagement sectoriel direct en RDC.

5) À quoi s’attendre sur le terrain ?

5.1. Effets économiques et sociaux attendus

  • Accès à des itinéraires agroécologiques et à un conseil structuré pour les alliances productives, avec un crédit plus lisible (produits IMF/banques adaptés).
  • Montée en compétences des organisations locales et des opérateurs de filières.

5.2. Effets environnementaux visés

  • Stabilisation des paysages forestiers dans les zones d’intervention, absence d’extension du front de déforestation, reverdissage par plantations agroforestières en savanes.

5.3. Conditions de succès (mesurables)

  • Sélection rigoureuse d’alliances bancables et capacité d’absorption des IMF locales.
  • Suivi-évaluation aligné CAFI pour démontrer l’efficience des subventions adossées au crédit (effet d’entraînement, remboursement, productivité).

6) Tableau récapitulatif — principaux financements évoqués (RDC)

Partenaire / OrganisationProgramme / ProjetMontantCatégorieSource
France (AFD/FONAREDD–CAFI)PSFD (savanes & forêts dégradées)14 999 378 USD (5 ans)Subventions adossées au crédit(mptf.undp.org)
Banque mondialeRéhabilitation & relance agricole (fin. additionnel 2017)75 M USDPrêt / IDA(Banque Mondiale)
Banque mondialePortefeuille RDC (tous secteurs)7,023 Mds USD (31/03/2025)Multi-secteur
BADProduction céréalière (Equateur/Kasaï-Oriental)13,5 M USDDon/Prêt(Banque Africaine de Développement)
BADAppui à la transformation agricole (PTA)117,9 M USD (2024)Prêt ADF/TSF(Africa Newsroom)
Belgique (Enabel)Coopération 2023-2027250 M€ (~50 M€/an)APD bilatérale(Enabel – Belgian Development Agency |)
BIO + consortium (PHC)Prêt syndiqué à PHC (huile de palme)49 M USD (BIO 11 M USD)Dette privée(fmo.nl)

Le financement français en agriculture RDC privilégie la qualité de l’outil (conseil + subvention + crédit) à la quantité de dollars : c’est un pari sur la durabilité agri-forestière et la bancabilité locale, mesurable projet par projet. Face aux milliards des bailleurs multilatéraux, l’enjeu est de prouver que ces alliances productives transforment réellement les rendements, les revenus et la stabilité des paysages.

Signé : Hilaria Kosi