RDC : pertes de 45 % sur le maïs (357 M USD), marchés ruraux sous tension et offre locale en recul
L’agriculture pèse 45,7 % du PIB et fait vivre 80 % des actifs. La campagne 2017/2018 s’est soldée par 2,4 millions t de maïs (-15 % par rapport à la moyenne 2013-2016), 0,6 million t de riz (-64 %) et 18,5 millions t de manioc (-37 %). Le déficit alimentaire atteint 6,9 millions t, avec des prix élevés sur les marchés ruraux. L’invasion de la chenille légionnaire d’automne a provoqué 45 % de pertes sur le maïs, soit 0,9 million t et 357 000 000 USD de manque à gagner.
Ce que révèlent les bilans 2017/2018
Au centre du continent, la RDC combine des régimes agro-climatiques divers et 240 points d’entrée qui facilitent les échanges commerciaux. Cette ouverture nourrit la circulation des semences et plants, mais expose aussi les cultures aux organismes de quarantaine et ravageurs. Tuta absoluta s’est installée sur la tomate, tandis que Spodoptera frugiperda a frappé le maïs. Les systèmes extensifs dominent : petites exploitations familiales de 1 à 2 ha en pluvial et 0,5 à 1 ha en irrigué, intrants limités, mécanisation rare. La productivité s’en ressent.
Les équipes mixtes mobilisées en 2017/2018 ont croisé données secondaires et enquêtes de terrain auprès des services techniques, ONG et partenaires. Les résultats convergent. La production céréalière brute culmine à 3,2 millions t : 2,4 millions t de maïs, 0,6 million t de riz, 85 000 t de sorgho et 16 000 t de mil. Les bilans céréaliers et alimentaires pointent un déficit structurel et confirment que la sécurité alimentaire bute d’abord sur l’accès : le pays reste largement déficitaire en céréales (-10,7 millions t, soit 83 % des besoins). L’offre locale ne suit pas, les prix montent, les marchés ruraux restent actifs mais coûteux pour les ménages.
Le manioc recule à 18,5 millions t (contre 29,8 millions t en moyenne antérieure), signal d’alerte pour la base énergétique des ménages. En parallèle, la production animale décroît sous l’effet des pillages et zoo-pathologies. Les bovins se concentrent au Sud-Kivu, Haut-Uélé, Kwango, Kwilu et Kongo Central ; la production porcine domine au Kongo Central, Tshopo et Kwilu. Ovins et caprins restent forts au Kongo Central et au Kwilu.
Le choc sur le maïs tient à la pression phytosanitaire. Les pertes moyennes de 45 % imputées à la chenille légionnaire correspondent à 0,9 million t envolées au prix moyen de 588 CDF/kg (soit 0,38 USD), l’équivalent de 357 000 000 USD. Par rapport à 2016/2017, les pertes de récolte progressent de 17 %, signe d’une riposte encore insuffisante et d’un encadrement technique trop limité au champ.
La sécurité nutritionnelle se dégrade. La malnutrition chronique touche 43 % des enfants de moins de cinq ans, six provinces dépassant 50 %. La malnutrition aiguë globale atteint 8 %. L’IPC (16ᵉ cycle) situe 15,6 millions de personnes en crise alimentaire, soit un doublement par rapport à juin 2017 (7,7 millions). Le coût de la faim pour 2014 est évalué à 1 636,9 milliards CDF (1 771 millions USD), soit 4,56 % du PIB, dominé par les pertes de productivité liées à la mortalité infantile et juvénile. Les régimes alimentaires restent peu diversifiés : tubercules ou céréales, feuilles (manioc, patate douce) et huile de palme constituent l’essentiel des assiettes de deux ménages sur trois.
Le diagnostic met à nu un triptyque de contraintes. Technique, avec des semences peu performantes, une fertilisation aléatoire, une faible maîtrise de l’irrigation et des pertes post-récolte élevées. Économique, avec des coûts d’intrants et de transport qui grèvent les marges, des prix volatils et des chaînes de valeur peu intégrées. Institutionnel, avec un suivi de campagne irrégulier, des laboratoires sous-équipés et des services de vulgarisation qui peinent à diffuser les bonnes pratiques.
Face à cette photographie, les pistes d’action avancées s’articulent autour de la gouvernance du suivi agricole, de la santé des plantes et des animaux, et de l’appui aux producteurs. Rendre permanente la mission de suivi-évaluation des campagnes, avec une commission active du niveau central aux provinces, permettrait de capter plus vite les signaux de baisse de rendement et d’adapter la réponse. Une riposte nationale contre la chenille légionnaire doit réunir toutes les parties prenantes : surveillance, alerte précoce, itinéraires techniques, accès aux intrants et biocontrôle. Un laboratoire national dédié aux maladies et ravageurs est indispensable, de même qu’un réseau de diagnostics déployé dans les provinces.
Sur le terrain, la montée en puissance des services de vulgarisation reste décisive : clinique des plantes, appuis Plantwise, renforcement des conseillers agricoles aux thématiques changement climatique, agriculture sensible à la nutrition et sécurité alimentaire. La diffusion de variétés résilientes à haut rendement et la mise à disposition de matériel de plantation doivent accompagner l’effort. Mieux informer sur la loi foncière fluidifie l’accès au foncier pour les petits agriculteurs et aligne les superficies emblavées avec les objectifs de reconstitution de l’offre.
La santé animale appelle un plan national de gestion des zoonoses, ciblant en priorité petits ruminants, porcs et volaille. Le contrôle aux frontières des produits d’origine végétale et animale doit se renforcer pour contenir l’introduction de nuisibles et de pathogènes. Un système de laboratoires en réseau sécurise le diagnostic et l’identification rapides, tandis qu’un centre national d’urgence sanitaire coordonne les réponses lors des flambées.
L’orientation globale est claire : relever la productivité par des semences adaptées, des intrants maîtrisés, une gestion de l’eau plus fine et une réduction des pertes post-récolte ; réparer les maillons faibles des chaînes de valeur pour ramener des prix à la ferme plus stables ; protéger les cultures et les cheptels par une hygiène phytosanitaire et vétérinaire rigoureuse. La RDC dispose de terres, de main-d’œuvre et d’un réseau de marchés vivants. La reprise passera par une exécution continue de ces leviers, suivie d’indicateurs simples : rendements (t/ha), surfaces (ha), prix à la ferme (CDF/USD), prévalence nutritionnelle (%) et volumes transformés (t). L’amélioration de ces marqueurs dessinera la sortie du déficit de 6,9 millions t et réduira la vulnérabilité des ménages face aux à-coups de pluviométrie, de marché et de ravageurs.
— M. KOSI